Entretien Avec Fethullah Gülen

Question: Quelle est la relation entre l'individu et l'État selon les enseignements islamiques? Quelle est la place et la fonction de l'individu dans l'État?

Le monde moderne et les systèmes de pensée actuels prétendent que pour la première fois dans l'histoire, les individus sont devenus les vrais sujets actifs de leurs vies et de leurs actions. Selon ces systèmes de pensée, les individus ont longtemps dépendu des traditions ancestrales qui ont perduré jusqu'à nos jours, s'emprisonnant dans les confins de ces traditions.

Comme l'attitude de groupe est devenue la norme et qu'il n'est pas possible de changer les normes établies de la vie collective, le sort des individus a été de rester des membres passifs et dociles de la communauté. En ces temps modernes, ils ont finalement commencé à se libérer de cet emprisonnement en cherchant à devenir des «individus» au vrai sens du terme. Jusqu'à une date récente, les individus n'étaient pas vraiment libres ou indépendants. Bien que ces observations sur l'individualisme soient vraies pour certaines cultures et certaines régions du monde, elles ne le sont pas pour toutes les religions, toutes les pensées et toutes les communautés.

Du point de vue du tawhid - principe fondamental de l'unité de Dieu en islam -, il est impossible, dans un sens, d'avoir un individualisme absolu. Cela est dû à ce que les humains sont soit «libres» en n'acceptant aucune valeur morale et se rebellent en ne reconnaissant aucun critère moral, soit «esclaves» de Dieu en obéissant consciencieusement à Ses commandements. Grâce à cette servitude, les serviteurs de Dieu ne s'inclinent devant aucun pouvoir et ne sacrifient pas une once de leur vraie liberté.

Un serviteur de Dieu ne saurait être asservi par un autre que Dieu - ni par les biens de ce monde ni par les traditions corrompues qui causent l'humiliation, le malheur des individus et la paralysie de l'esprit, ni par les relations sociales qui assiègent la raison humaine, ni par les intérêts égoïstes, ni par l'avidité et les ambitions matérielles qui finissent par anéantir toute moralité, ni par les tendances tyranniques qui favorisent la force brute aux dépens de la logique et de la raison, ni par l'immoralité, l'envie, la haine et l'asservissement aux pulsions charnelles. Le musulman répète au moins 30 à 40 fois par jour: «Ô Seigneur, C'est Toi seul que nous adorons, et c'est Toi seul dont nous implorons le secours !» (Le Coran, al-Fatiha, 1/4) En disant cela, il brise les chaînes qui liaient sa liberté et son individualité, et cherche refuge dans le Pouvoir infini de Dieu, qui suffit à toute chose. Un individu qui ne parvient pas à se confier ainsi à Dieu et à se réfugier en Lui ne peut pas être considéré comme ayant vraiment rempli son devoir d'être une personne idéale.

Ainsi, tout en demandant aux individus d'être libres et indépendants de tout excepté de Dieu, l'islam accepte naturellement, par principe de nécessité, que les individus soient aussi membres d'une famille, d'une société, d'une nation et en effet, de toute l'humanité. L'homme est un être social et civilisé qui a besoin de vivre avec ses semblables. En ce sens, une société est comme un organisme : ses parties sont étroitement liées et dépendent les unes des autres.

Il est très important de voir une telle unité comme une serre qui protège les individus contre les forces oppressives, qui les aide à répondre à leurs besoins et qui les soutienne dans leur développement personnel et social - chose difficile à réaliser seul. C'est précisément sur ce point que nous différons de ceux qui revendiquent une «liberté absolue» pour l'individu. Ces partisans de la liberté absolue abandonnent l'individu à lui-même dans le désert de l'existence, sans aucun soutien contre les forces qui attendent en embuscade pour le capturer, et font cela sous prétexte de libérer l'individu de certaines attaches traditionnelles. Un tel individu, en tombant sous la tyrannie de dictateurs ou sous le despotisme social, aura payé cher son individualisme, en y perdant à la fois sa liberté et son honneur.

J'aimerais aussi signaler que, contrairement à d'autres religions ou systèmes similaires aux religions, l'islam ne se restreint pas à des considérations purement métaphysiques, à la perfection spirituelle de l'individu, aux rites religieux, à la prière, aux dévotions et à la contemplation. En plus de tout cela, l'islam établit des règles qui régissent la vie individuelle, sociale, politique, économique, morale et légale de l'homme; il promet la sécurité contre l'anarchie, et des récompenses éternelles en échange de l'observation de ces règles. Limiter la religion divine à la foi et à l'adoration individuelle signifie la compartimenter, la diviser et la façonner à l'encontre de la volonté et de l'agrément de Dieu. L'on peut même dire qu'une telle compartimentation peut provoquer quelque confusion mentale. En effet, cela désoriente l'individu qui ne sait alors plus que pratiquer, ni comment et quand le pratiquer. S'il ne peut pas vivre librement selon les principes de sa religion à cause de quelque obstacle posé devant lui, cela veut dire qu'on l'a privé de la liberté de croyance et de conscience.

Selon la religion de l'islam, le Messager de Dieu a été envoyé pour apporter des principes pour la vie de ce monde et de l'au-delà, avec la promesse d'une félicité éternelle pour ses fidèles. Dans le message du Prophète, ce monde et le monde de l'éternité sont juxtaposés. Les responsabilités personnelles et sociales sont liées entre elles. La prière, la supplication et l'évocation de Dieu, la vie du cœur et de l'âme, et les questions éthiques, sociales et administratives sont les facettes d'une seule unité. En plus de tout cela, chaque musulman doit être pleinement conscient de ses propres droits et respectueux des droits et des libertés d'autrui. Il doit montrer autant de sensibilité dans la défense et le respect des droits des autres qu'il en montre envers les siens.

Question: Que dit l'islam sur «l'État»? Quelle est la place de l'État dans le Coran? Beaucoup de musulmans contemporains parlent de l'établissement d'un État islamique fondé sur les principes de la Chariah - pourriez-vous nous faire part de vos idées sur ce sujet?

Ceux qui étudient et avancent des opinions concernant la vision islamique de l'État et de la politique tendent à confondre l'islam tel qu'il est établi par le Coran et la Sounna du Prophète avec l'islam tel qu'il a été construit à travers les expériences historiques des musulmans et naturellement fondé sur des principes légaux (char'î), et aussi l'islam observé de façon superficielle dans l'époque moderne. Ils surgissent avec toutes sortes de choses au nom de l'islam; utilisant parfois des citations de quelque interprétation coranique, quelques paroles choisies du Prophète, ou des idées et des suggestions d'un penseur contemporain, et ils promettent de faire régner leur interprétation s'ils en ont l'occasion.

En disant cela, je ne veux surtout pas dire que l'histoire et les règles islamiques se sont pétrifiées, en ne laissant aucune place à la réflexion et à de nouvelles propositions. On ne peut pas nier l'effet de l'effort humain dans les ijtihads[1] et les qiyas (analogies), qui sont permis dans des domaines autres que celui des fondements de la religion. Tous les ijtihads doivent être accomplis là où un espace est laissé à l'interprétation. Aussi doivent-ils être conformes aux principes fondamentaux de l'islam. Dans de tels sujets, chaque individu qui est habilité à faire un ijtihad n'engage que lui-même. Le fait qu'un tel raisonnement indépendant n'ait pas autorité sur les autres est un principe de la religion. L'islam ne permet à personne de poser ses propres idées, ou les caprices et les désirs de son époque, comme guides pour les gens, et ne leur permet pas non plus de dire que «cela est la religion». Au contraire, l'islam considère de telles tentatives comme un égarement.

Tout d'abord, les idées proposées au nom de la religion qui ne proviennent pas du Coran et de la Sounna du Prophète résulteront en d'autant de projets et de propositions qu'il y a d'opinions, et cela finira par une crise de légitimité. Toute proposition qui ne tire pas ses références de l'expérience historique des musulmans pour laquelle il y a un consensus de la majorité des musulmans ne saurait être durable. Si ces propositions ne répondent pas aux besoins contemporains des individus, en référence aux sources principales de la religion qui sont acceptées et révérées par la majorité, elles ne seront ni réalistes ni satisfaisantes.

Par conséquent, dès lors que l'on s'appuie sur des sources révélées ou sur des interprétations savantes fondées sur ces sources, l'on peut se demander quelle est la vision islamique de l'État. En islam, la souveraineté et l'autorité appartiennent à Dieu. Le Coran souligne ce point dans plusieurs versets et déclare que la souveraineté et le commandement appartiennent à Dieu: Il n'appartient pas à un croyant ou à une croyante, une fois que Dieu et Son messager ont décidé d'une chose, d'avoir encore le choix dans leur façon d'agir. (33/36) Par là le Coran déclare que l'autorité n'appartient pas à des leaders saints et infaillibles, comme dans les théocraties, ni à aucune institution religieuse sous leur direction, ni à aucune autre institution religieuse organisée de quelque façon que ce soit. L'islam dit: Le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, est le plus pieux. (Le Coran 49/13) De cette manière, l'islam n'autorise aucun privilège lié à la famille, la classe sociale, la race, la couleur, la richesse ou le pouvoir. Au lieu de cela, l'islam a établi la piété, le mérite, l'honnêteté et le sentiment de justice comme principes. En islam, religion fondée sur le Coran et les paroles du Prophète, il n'y a ni monarchie absolue ni démocratie classique au sens occidental; ni dictature, ni totalitarisme. En islam, le gouvernement signifie un accord mutuel entre le dirigeant et le sujet, et il tire sa légitimité de l'autorité de la loi et du principe de la supériorité de la loi. Ainsi, la loi est au-dessus du dirigeant et du dirigé. Elle appartient à Dieu. Elle ne peut pas être changée ni usurpée. La loi doit être appliquée selon les commandements du Créateur, et selon la manière dont le Prophète l'a exprimée et appliquée. Pour l'islam, un gouvernement fondé sur la tyrannie est illégitime. L'islam n'approuve aucune forme de dictature. Dans une administration islamique, ceux qui sont à la tête doivent obéir à la loi tout comme les gens du peuple; ils ne peuvent en aucun cas violer ces principes et agir à leur encontre.

Rappelons que tout ce qui est susmentionné ne veut pas dire que les institutions législatives et exécutives soient incapables de faire quoi que ce soit. En islam, ces institutions ont toujours été autorisées à établir des lois. Celles-ci sont fondées sur les besoins et l'intérêt de la société, et prennent place dans le cadre des normes de lois générales. Les musulmans ont toujours développé des lois sur les affaires intérieures de la communauté islamique et sur ses rapports avec les autres nations, y compris les relations économiques, politiques et culturelles. Les membres de la communauté sont tenus d'obéir aux lois que l'on peut identifier comme des «principes supérieurs», ainsi qu'aux lois faites par les hommes. L'islam ne s'oppose pas à l'ijtihad, ni à l'istinbat (raisonnement déductif), ni à l'istikhraj (dérivation) dans l'interprétation des principes de la Chariah.

En fait, dans une société démocratique, la source de loi n'a pas de couleur et est dénuée de tous préjugés raciaux. Elle promeut la création d'un environnement propice au développement des droits de l'homme, à la participation politique, à la protection des droits des minorités et à la participation des individus et de la société aux grandes institutions où sont prises les décisions importantes qui sont supposées être les caractéristiques du monde moderne. Tout le monde doit être autorisé à s'exprimer, sans qu'aucune pression ne soit faite sur les individus par quelque moyen que ce soit. Aussi, les membres de communautés minoritaires doivent être autorisés à vivre selon leurs croyances. Si de telles législations sont faites dans le cadre des normes du droit international et des accords internationaux, l'islam n'aura aucune objection à faire à leur encontre. Personne ne peut ignorer les valeurs universelles que le Coran et la Sounna ont présentées concernant les droits susmentionnés. Par conséquent, il est impossible de prouver de quelque façon que ce soit que l'islam s'oppose à la démocratie.

Si un État, dans le cadre dont nous venons de parler, donne l'opportunité à ses citoyens de pratiquer leur religion et soutient leur pensée, leur enseignement et leur pratique, alors ce système n'est pas considéré comme étant opposé aux enseignements du Coran. Si un tel État existe, il n'est pas besoin de chercher un État alternatif. Le système doit être revu par les législateurs et les institutions exécutives si les droits de l'homme et les libertés ne sont pas assez protégés, comme c'est le cas dans beaucoup de démocraties en voie de développement dans le monde. Pour faire de telles lois idéales, les législateurs doivent réformer, renouveler et organiser le système en fonction des normes de lois universelles. Même si un tel système n'est pas tout à fait tachri'i (fondé sur la Chariah), il n'est pas non plus perçu comme lui étant opposé.

Il y a notamment des gens qui pensent que la Chariah requiert la création d'un État fondé sur des règles religieuses. Sans même regarder au sens et aux implications du mot Chariah, ils adoptent une position ferme à son encontre. Le mot Chariah qui est, en un sens, synonyme de religion (din), indique une vie religieuse soutenue par les commandements de Dieu, les paroles et les pratiques du Prophète, et le consensus de la communauté musulmane. Les principes qui se rattachent à l'administration étatique ne forment que 5% d'une telle vie religieuse. Le reste, c'est-à-dire 95%, est lié aux autres domaines de la religion tels que les articles de la foi, les piliers de l'islam et les principes moraux de la religion.

Question: Est-il possible de réconcilier l'islam et la démocratie? Comment voyez-vous le manque de démocratie dans beaucoup de pays musulmans? Et voyez-vous ce manque de démocratie comme un défaut des nations musulmanes?

Quand on parle de l'islam et de la démocratie, il faut se rappeler que ce premier est une religion divine et céleste, tandis que cette dernière est une forme de gouvernement développée par l'homme. Les buts essentiels de la religion sont les principes universels tels que la foi (iman), la servitude à Dieu (ubudiyyah), la connaissance de Dieu (marifah), et la bienfaisance et la noblesse morale (ihsan). Le Coran, dans des centaines de versets, invite les gens à la foi et à l'adoration du Vrai (Al-Haqq). Il les incite aussi à approfondir leur servitude à Dieu de façon à ce qu'ils puissent gagner la conscience de l'ihsan. «Croire et accomplir des bonnes actions» fait partie des sujets que le Coran souligne avec insistance. Il rappelle souvent aux gens qu'ils doivent développer une relation consciente et profonde avec Dieu et agir comme s'ils voyaient Dieu, ou dans la conscience d'être vus de Lui. Le Coran nous exhorte toujours à orner tout cela avec la noblesse de caractère.

La démocratie n'est pas en elle-même un système de gouvernement. Elle est d'ailleurs rarement présentée sans affiliation. Dans beaucoup de cas, un autre terme, tel que sociale, libérale, chrétienne ou radicale lui est associé. Dans certains cas, il arrive même que l'une de ces formes de démocratie ne considère pas l'autre comme telle.

Cependant, de nos jours, la démocratie est souvent mentionnée sous sa forme non affiliée, ignorant la nature plurielle de la démocratie (l'on devrait plutôt parler des démocraties). En contraste, beaucoup parlent de la religion comme étant équivalente à la politique, laquelle n'étant en fait que l'une des nombreuses sections de la religion. Une telle perception a mené à un éventail de positions sur le sujet de la réconciliation de l'islam et de la démocratie. Même si ces termes ne sont pas vus comme des opposés, il est clair qu'ils sont différents sous divers aspects importants.

Selon l'une de ces conceptualisations, l'islam est à la fois une religion et un système politique. Il s'exprime dans tous les domaines de la vie, y compris l'individu, la famille, la société et les sphères économiques et politiques. À partir de cet angle, limiter l'islam uniquement à la foi et à l'adoration serait rétrécir le champ de son interaction et de son interpénétration. Beaucoup d'idées ont été développées à partir de cette perspective et elles ont récemment conduit à percevoir l'islam comme une idéologie. Selon certains critiques, une telle approche aurait réduit l'islam à l'une des nombreuses idéologies politiques. Cette vision de l'islam comme étant une idéologie totalisante s'oppose radicalement à l'esprit de l'islam, qui promeut l'autorité de la loi et rejette ouvertement l'oppression contre un quelconque groupe de la société. Cet esprit prône aussi des actions pour l'amélioration de la société conformément à l'opinion de la majorité.

Ceux qui suivent un schéma plus modéré croient également qu'il serait beaucoup mieux de présenter l'islam comme un complément de la démocratie au lieu de le présenter comme une idéologie. Une telle présentation de l'islam pourrait jouer un rôle important dans le monde musulman en enrichissant les formes locales de démocratie et en l'étendant de façon à aider les êtres humains à comprendre le lien entre le monde spirituel et le monde matériel. Je crois que l'islam enrichirait aussi la démocratie en répondant aux besoins profonds des hommes, tels que la satisfaction spirituelle, qui ne peut être réalisée que par l'évocation de Dieu l'Éternel.

Oui, dans le monde islamique et notamment dans mon pays, la Turquie, il est regrettable de voir que certains parmi ceux qui s'expriment sur l'islam et la démocratie et qui prétendent parler au nom de la religion ainsi que certains pro-démocrates en sont venus à la même fausse conclusion que l'islam et la démocratie n'étaient pas conciliables. L'argument qu'ils présentent est fondé sur l'idée que la religion de l'islam repose sur l'autorité de Dieu, alors que la démocratie repose sur l'opinion de la nation. Toutefois, il me semble qu'une autre idée soit devenue victime d'une telle comparaison superficielle entre l'islam et la démocratie. La phrase «La souveraineté appartient inconditionnellement à la nation» ne veut pas dire que la souveraineté a été retirée à Dieu et donnée aux hommes. Au contraire, cela signifie que la souveraineté est confiée aux hommes par Dieu, c'est-à-dire qu'elle a été retirée aux oppresseurs et aux dictateurs et donnée aux membres de la communauté. L'ère des Califes Bien-Guidés de l'islam illustre dans une certaine mesure l'application de cette norme de démocratie. Cosmologiquement parlant, Dieu est sans nul doute le souverain de toutes choses dans l'univers. Nos pensées et nos plans sont toujours sous le contrôle du pouvoir de ce suprême Omnipotent. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous n'ayons pas de volonté, d'inclinations ou de choix. Les humains sont libres de faire des choix dans leurs vies personnelles. Ils sont également libres de faire des choix pour leurs actions sociales et politiques. Certains peuvent organiser différents types d'élections pour choisir leurs législateurs et leurs supérieurs. Il n'y a pas une seule manière d'organiser des élections; comme on le voit, cela était vrai même pour l'Ère de Félicité, l'époque du Prophète de l'islam, et à l'époque des quatre grands califes, que Dieu les agrée tous. L'élection du premier calife, Abou Bakr, fut différente de celle du deuxième calife, Omar. L'élection d'Othman fut différente de celle d'Ali, le quatrième calife. Dieu seul connaît la meilleure méthode d'élection.

En outre, la démocratie n'est pas une forme de gouvernement immuable. En regardant de plus près l'histoire de son développement, l'on peut voir des erreurs qui ont été suivies de changements et de corrections. Certains ont même parlé de trente sortes de démocraties. En raison de ces changements dans l'évolution de la démocratie, certains la regardent d'un œil sceptique. Peut-être est-ce l'une des raisons qui explique pourquoi le monde musulman n'a pas accueilli la démocratie avec un grand enthousiasme. En plus de cette réticence, la violence des dirigeants despotiques qui voient la démocratie comme une menace à leur despotisme présente un autre obstacle à la démocratie dans les nations musulmanes.

Question: À une époque où l'islam politique est devenu très populaire, que pensez-vous de la relation entre l'islam et la politique?

Je crois qu'ici aussi les gens sont allés ou trop loin ou pas assez loin en ce qui concerne la relation entre l'islam et la politique. Certains disent que l'islam n'a aucun lien avec la politique, d'autres perçoivent la religion comme la politique même, ignorant la variété et la richesse des aspects de la religion. Dans le saint Coran, on peut lire des versets qui se rapportent à l'administration et à la politique. Les pratiques du Prophète occupent aussi une place importante à cet égard. Par exemple, les termes coraniques ulu al-amr (ceux qui dirigent), taat ulu al-amr (obéissance aux dirigeants), choura (consultation), harb (guerre) et sulh (paix) sont tous des exemples de références coraniques en rapport aux décisions politiques et légales. En outre, il y a des versets coraniques liés aux institutions légales et d'autres relatifs à la politique et à l'administration.

Cependant, en islam, il n'est pas possible de confiner le concept d'administration et de politique dans un seul paradigme, contrairement aux principes de la foi et aux piliers de l'islam. L'histoire nous montre que dans le monde islamique, depuis l'époque du Prophète, il y a eu de nombreux types d'État. Il en est ainsi même si l'on excluait les élections des premiers temps de l'islam et les qualités qui avaient été exposées lors de ces élections. Même si l'on ne peut pas voir de grandes différences méthodologiques entre ces types d'administration, l'on trouve beaucoup de différences dans les détails. Ceux qui n'ont pas saisi l'esprit de ces formes d'administration ont considéré chacune comme étant un système différent. Notons que ces différences étaient le résultat des aspects de la religion ouverts à l'interprétation et rattachés au domaine de l'ijtihad.

Afin de parvenir à une évaluation saine et à des conclusions positives, l'on doit se référer aux sources fondamentales de l'islam: le Coran et la Sounna. Certes, les expériences historiques représentent aussi une source importante.

Dans le Coran, en plus des versets qui déterminent les devoirs de l'homme envers Dieu, beaucoup d'autres versets régulent les relations des êtres humains entre eux. La source des deux sortes de versets est une: Dieu. Les versets qui nous rappellent nos devoirs et nos responsabilités envers l'essence divine ont été préservés dans leur originalité fondée sur la compréhension du Prophète et de ses Compagnons. Les versets coraniques et les paroles prophétiques relatifs à la deuxième catégorie se concentrent sur les principes de la vie sociale, économique, politique et culturelle des humains. En même temps, ils sous-tendent une certaine sagesse, un bienfait et des avantages à travers les déclarations concises qui terminent beaucoup de versets. Par exemple, les versets sur la justice, le respect des droits, la probité, la miséricorde, la compassion, la consultation pour toute action, la chasteté et l'honnêteté sont considérés comme des exemples de cette catégorie.

Si ces versets qui traitent des relations humaines sont lus entièrement et correctement, ils donneront des idées aux musulmans pour résoudre leurs futurs problèmes. Dans une certaine mesure, les exégètes et les moujtahids (ceux qui sont capables de pratiquer l'ijtihad) prennent cette catégorie comme une référence pour leurs interprétations et leurs évaluations.

Il y a beaucoup de sujets dans le Coran et dans les paroles authentiques du Prophète dont l'interprétation et l'éclaircissement ont été laissés au passage du temps. Ainsi, les commandements divins et les suggestions prophétiques concernant la politique, l'État et la direction de la communauté ont été interprétés de diverses façons, résultant en différentes manifestations et diverses formes à travers l'histoire. Si vous le souhaitez, vous pouvez rattacher cela au concept selon lequel le temps est le plus grand interprète, ou l'attribuer à l'universalisme de l'islam - religion connue comme étant la plus naturelle et la plus tolérante (al-hanifiyyah-as-samha). Oui, parmi ceux auxquels s'adresse le Coran se trouvent plusieurs groupes de gens: des Bédouins jusqu'aux peuples civilisés, des communautés primitives jusqu'aux nations les plus développées, et des simples masses jusqu'aux groupes éclairés et très organisés. Le Coran appelle tous ces groupes en considérant leurs propres modes de pensée, leurs approches, leurs visions, leurs évaluations et même leurs vies. Dans le cas de la relation humaine vis-à-vis de l'Être Divin, il a exposé les détails de certains principes bien établis. Et dans le cas des interactions humaines, il a donné des explications brèves en laissant les détails pour les générations à venir.

À cet égard, il y a eu un consensus de compréhension dans le premier cas (exception faite des interprétations de la tradition islamique par certains groupes hérétiques). Quant au deuxième cas, beaucoup d'interprétations différentes ont émergé en fonction des conditions, de l'époque et des situations qui existent dans le monde. Naturellement, ces différences se sont reflétées dans les institutions judiciaires et administratives.

Ce serait mal comprendre l'islam de dire que la politique est un principe vital de la religion et parmi ses piliers les mieux établis. Tandis que certains versets coraniques se rapportent à la politique, à la structure de l'État et aux formes de gouvernement, les gens qui ont lié l'apport du message coranique avec de tels sujets semblent avoir conduit à une mauvaise compréhension. Ce malentendu est le résultat de leur zèle islamique, de leur seule considération des expériences historiques, et de leur idée que les problèmes des communautés musulmanes peuvent être résolus plus facilement grâce à la politique et au gouvernement. Toutes ces approches au sein de leurs propres contextes sont très significatives. Toutefois, il est clair que la vérité ne consiste pas seulement dans ces approches.

Bien que l'on ne puisse pas nier le rôle du gouvernement et de l'administration dans l'ordre social et l'harmonie entre les individus, les familles et les sociétés, tout cela reste secondaire dans le cadre des valeurs coraniques. Il en est ainsi parce que les valeurs que nous appelons grands principes (ummuhat), tels que la foi (iman), la soumission (islam), la bienfaisance (ihsan), et l'adoption de la moralité divine par la communauté, sont des références qui forment l'essence des sujets administratifs, économiques et politiques. Le Coran est une traduction éternelle du livre sacré de l'univers, qui provient des commandements divins de la création, une interprétation des mondes visible et invisible. C'est une explication des reflets des noms divins sur la terre et dans les cieux; une prescription pour les divers problèmes du monde islamique; un guide unique pour la félicité dans cette vie et dans l'autre; l'unique guide pour les voyageurs de ce monde qui avancent vers l'au-delà; une source intarissable de sagesse. Un tel livre ne doit pas être réduit à un discours politique, et ne doit pas être considéré comme un livre portant sur des théories politiques ou sur des formes d'État. Considérer le Coran comme un instrument de discours politique est un sérieux manque de respect pour le Livre Saint et un obstacle qui empêche les gens de profiter des autres aspects de cette profonde source de grâce divine.

Nul doute que le saint Coran, par son enrichissement de l'âme humaine, soit capable d'inspirer de sages politiciens, et à travers eux d'empêcher que la politique ne devienne un jeu de hasard ou un jeu d'échecs.

Question: Après l'abolition du califat (Khilafah) en Turquie, beaucoup de nouveaux mouvements visant à restaurer cette institution émergèrent, surtout en Inde. Gardant à l'esprit le développement rapide de notre monde, pensez-vous que le califat pourrait être rétabli? Ou le califat est-il une utopie irréalisable? Quelles sont vos opinions à ce sujet?

Quand le califat fut aboli, beaucoup d'opinions furent exprimées pour ou contre cette institution. Un sociologue turc contemporain, Ziya Gokalp, et ceux qui s'alignaient sur sa pensée, adoptèrent d'abord l'approche suivante: «L'institution du califat qui tire son pouvoir de la Grande Assemblée Nationale turque occupe une place honorable parmi les musulmans. Si une telle institution n'existait pas, le monde de l'islam serait similaire à un chapelet dénoué: tous ses grains se disperseraient.». Seyyid Bey et ceux qui partageaient ses opinions dirent que «le califat est une sagesse, il est directement l'affaire de la nation elle-même et dépend des nécessités de l'époque. Quand le Prophète mourut, il ne mentionna rien concernant le khilafah (la succession) à ses Compagnons. En fait, même dans le Coran, l'on ne trouve aucun verset à cet effet». Seyyid rappelle que le Coran souligne l'importance de la délibération, de la consultation et de l'obéissance aux dirigeants - faits qui se rapportent à l'État. Ces deux aspects sont liés à l'administration et à la politique. Selon lui, c'est durant la trentième année du calendrier hégirien avec le califat d'Ali, quatrième calife dans l'histoire islamique, que le califat a pris fin. À cet égard, il cite les avis des savants de la pensée et de la loi islamique. Il parle de l'historicité du califat, en un sens, et suggère que l'on doive tirer profit de cette expérience et comprendre le but du califat. Selon Seyyid, les dirigeants qui succédèrent aux quatre califes n'étaient pas de vrais califes; en apparence, ils l'étaient, mais en terme de qualité, ils n'égalaient pas les califes précédents. Il a ainsi soutenu l'abolition du califat comme on le lit dans la déclaration suivante du Parlement turc: «Le calife a été destitué. L'institution du califat est aussi abolie puisque son sens est essentiellement inclus dans le contexte et la signification du gouvernement et de la république».

Bien avant cette époque, Ibn Khaldun, dans la Muqaddimah, présenta la pensée suivante: «Il y a trois opinions différentes au sujet du califat. La première est que le califat est une institution divine et nécessaire; la deuxième est que l'existence du califat dépend des besoins, et la troisième est que, comme le défendirent certains Kharijites, il n'y a pas besoin de califat».

Aujourd'hui, ceux qui sont d'avis que le califat est inutile disent cela en raison de l'établissement d'États-nations et du développement des idées d'indépendance. C'est pourquoi certains pensent que le califat a perdu son efficacité.

Certains croient que les dynamiques du califat sont toujours effectives en cela qu'il est un moyen d'unir les musulmans et de faciliter la coopération entre les nations musulmanes par l'échange de leurs savoirs et leurs diverses ressources. La possibilité de rallier les masses peut aisément se réaliser autour du terme religieux califat/Khilafah.

Cela étant, je dirais que le renouveau du califat serait très difficile et que faire accepter aux musulmans un tel califat renouvelé serait impossible. La perception moderne du renouveau du califat doit aussi être prise en considération. Je pense qu'il serait très bénéfique de regarder de plus près le concept de califat ainsi que les mouvements revivalistes du califat à la lumière des observations mentionnées ci-dessus.

Question: Beaucoup d'écrivains aux États-Unis relient le développement de l'Occident à la Renaissance. Une renaissance est-elle possible dans le monde islamique? Est-elle nécessaire? Qu'en pensez-vous?

La Renaissance est connue comme une nouvelle naissance, un renouveau et un réveil. Si la Renaissance signifie, comme certains le disent, un mouvement qui faisait revivre les valeurs officielles et spirituelles de l'Antiquité, ou bien si elle représentait un courant prônant le retour aux sources et leur relecture et ré-évaluation, ou encore comme d'autres le disent, si l'intérêt principal du mouvement portait sur les valeurs politiques, juridiques et morales de l'antiquité en se concentrant sur les écrits classiques dans le domaine de la pensée et sur les mystiques légendaires, alors, bien que certains de ses aspects puissent être appréciés, l'on ne saurait l'accepter dans son intégralité.

Si la Renaissance était une révolte contre la domination des autorités religieuses, et si elle est comprise comme étant pro-liberté, cela est critiquement et totalement de l'anti-religion sous forme d'individualisme. Bien que certains retracent l'origine de ce mouvement en Italie et le rattache à des personnages comme Dante et Giotto di Bondone, l'on peut difficilement voir cela comme bénéfique à l'humanité et donc difficilement accepter ce mouvement sous cette forme. L'interprétation selon laquelle des penseurs qui furent très désorientés suite à la crise intellectuelle en Occident auraient accepté l'humanisme extrémiste et provoquèrent ainsi un autre déséquilibre dans la pensée est inacceptable.

L'islam a réalisé une renaissance lors de ses IIIe et IVe siècles, et dans une certaine mesure, il devint un paradigme pour la renaissance européenne. En toute sincérité, nous soutenons une renaissance qui consiste en la redécouverte des valeurs humaines oubliées et le rapprochement de l'humanité avec la morale humaine universelle. Nous sommes en faveur d'une renaissance qui permette la remise en cause de la dictature, la fin des dictateurs et le cheminement vers une société démocratique; une renaissance qui favorise de grandes réussites dans les beaux-arts, qui développe et promeuve une lecture attentive et une interprétation du livre de l'univers, qui ont été négligées depuis fort longtemps; une renaissance qui prône l'amour de la vérité, une aspiration à la recherche, une passion pour le savoir et l'expression de la religion en accord avec la compréhension de notre siècle dans un nouveau style et une nouvelle manière.

Nous sommes à la recherche d'un réveil de la raison, ainsi que du cœur, de l'âme et de l'esprit. Pourtant, nous ne pouvons pas savoir dès maintenant quand il sera temps de récolter les fruits de tels efforts. Il y a un temps pour tout. Attendons de voir. «Avant que le soleil ne se lève, qui sait ce qui émergera de la nuit la plus sombre?»

Question: Ces derniers siècles, le monde musulman n'a pas produit beaucoup de grands intellectuels. Quelle pourrait-en être la raison? Est-il possible de voir une re-naissance intellectuelle?

Cela dépend de ce que l'on entend par «intellectuels». Il est possible de définir l'intellectualisme comme ce qui donne la priorité à la raison contre les sentiments et la volonté, et fait de la pensée la source de la créativité. Le manque de cet intellectualisme n'est pas une grande perte pour le monde islamique. Il n'y a aucun doute sur le fait que le monde islamique manque d'intellectuels qui aient conscience et connaissance de leur propre existence et soient capables d'interpréter et de comprendre correctement la création. C'est une grande perte pour le monde islamique que de manquer d'intellectuels qui soient conscients de l'époque dans laquelle ils vivent, qui la remettent en question et qui puissent exprimer ce qu'ils savent sans hésiter quand il le faut. Il est fort regrettable que le monde islamique manque de tels intellectuels éclairés. Ici, je me dois d'éclaircir quelques points:

Premièrement, cette paralysie dans le développement n'est pas quelque chose de spécifique au monde islamique. Il y a eu beaucoup de nations à travers l'histoire dont le passé était très brillant mais le présent très terne. Telle est la destinée de toutes les nations; l'histoire se répète. Combien de civilisations et de nations ont partagé cette destinée, semblables à un feu ardent qui s'éteint, ou à un outil qui s'use avec l'usage, ou à tout être humain qui naît, vieillit puis meurt. L'on peut tenter de les renouveler afin de prolonger leur durée de vie, mais à quel prix…

Deuxièmement, il y trois points essentiels dans l'esprit islamique. La négligence de l'un d'entre eux, quel qu'il soit, paralysera plus ou moins les autres dynamiques. Ces principes essentiels peuvent être résumés comme suit: 1) interpréter les sciences religieuses conformément à la compréhension du siècle en se basant sur les sources fondamentales (le Coran et la Sounna), comme cela était le cas durant les premiers temps de l'islam ou l'ère de tadwin (inscription des recueils de la tradition du Prophète); 2) de même que nous lisons le Coran, qui dérive de l'attribut divin de la Parole (Kalam), nous devons aussi bien lire et mettre en valeur le grand livre de l'univers et les lois divines qui se trouvent dans la nature et qui sont les manifestations des attributs divins du Pouvoir (Qudrah)et de la Volonté (Iradah); 3) il nous faut garder l'équilibre entre le matériel et l'immatériel, le corps et l'âme, ce monde et l'autre, et le physique et le métaphysique. L'on doit être également ouvert à chacun de ces sujets. Dans un monde où la raison est négligée, où le cœur a été exclu, et où l'amour de la vérité et l'aspiration au savoir ont été éteints, il n'est pas même possible de parler d'élite ou d'intellectuels.

Troisièmement, pareil à l'Occident actuel, le monde musulman a vécu une grande période de lumières. Il y a eu des aspects positifs dans cette période, mais quand les dynamiques vitales ont commencé à être négligées, il y a eu aussi, indubitablement, des aspects négatifs. Dans certains cas, l'abondance de possessions matérielles a poussé les gens à la paresse, les systèmes industriels ont déformé leur sens de la réalité, les victoires et les succès ont conduit la passion des gens pour la vie, et la frivolité extrême a abouti à un style de vie décadent. L'intellectuel ne saurait émerger d'un contexte où une atmosphère si oppressive prédomine.

Quatrièmement, les sciences positives d'aujourd'hui ne sont pas fondées, essentiellement et méthodologiquement, sur la simple recherche, l'expérience et l'analyse des savants musulmans. D'un point de vue méthodologique, de nos jours, les sciences se basent sur le positivisme, le naturalisme et le rationalisme au sens occidental du terme. Dans le monde des sciences, toutes les recherches et les analyses sont sous le contrôle d'une certaine philosophie. Cela continuera jusqu'à ce que de nouveaux génies émergent pour réinterpréter le monde ou la création, et pour l'analyser et la rétablir dans le filtre de leurs propres pensées.

Question: Le sujet de l'ijtihad a longtemps été sujet de débats dans le monde musulman. Certains pensaient que la porte de l'ijtihad était fermée, ce qui entraîna une stagnation de la raison. Quel pourrait être le critère pour utiliser la méthodologie de l'ijtihad?

Le mot ijtihad signifie littéralement «faire usage de tout votre pouvoir et fournir tous vos efforts afin d'accomplir des œuvres difficiles et complexes». Dans la terminologie islamique, le mot veut dire «utiliser tout votre pouvoir pour déduire des décisions juridiques hypothétiques à partir des sources claires (adilla-i tafsiliyyah) de la loi islamique». Celui qui fait cet effort est appelé un moujtahid. La question pour laquelle ces efforts sont fournis s'appelle moujtahadun fih.

En principe, il y a deux conditions pour l'ijtihad. D'une part, nous devons connaître les sources de la loi islamique liées aux jugements légaux (ahkam). D'autre part, l'ijtihad doit être fait par des docteurs qualifiés qui sont capables de pénétrer dans l'esprit de ces sources grâce à leur intelligence et la logique de la loi religieuse. Tout ijtihad qui vient d'une personne qualifiée et qui est fait dans un cas approprié est valide.

De plus, l'ijtihad ne se limite pas à l'analogie (qiyas). Il peut être accompli par l'analogie aussi bien que par les indications, les indices et les allusions des textes légaux. Il est également possible de déduire des jugements légaux à partir des inférences tirées des aspects linguistiques du Coran et de la Sounna, y compris la rhétorique arabe traitant du langage métaphorique et des figures de style littéraires.

L'islam, étant la dernière religion universelle, est capable de fournir des solutions aux problèmes illimités des humains pour tous les temps et tous les lieux à partir des textes (quantitativement) limités du Coran et de la Sounna. Cette activité bénie a commencé pendant l'ère du Prophète et s'est surtout développée pendant le IIIe et le IVe siècles sous les noms d'ijtihad, de ra'y (opinion légale subjective), istidlal (inférence), qiyas (analogie) et istinbat (déduction). Elle est restée active au sein de la pratique des systèmes dynamiques de l'islam et a été très fructueuse.

Cette culture juridique riche et originale, unique au monde islamique, s'est peu à peu éteinte pour des raisons comme l'exclusion partielle du système de vie islamique actif de la sphère publique, l'absence d'esprits aussi actifs et d'âmes aussi inspirées que les musulmans d'antan, qui maîtrisaient le Coran et la Sounna, contrairement à beaucoup de leurs successeurs aujourd'hui. Puisque ces derniers ont accédé au pouvoir dans les cercles religieux, l'institution fertile de l'ijtihad a été laissée à l'imitation aveugle (taqlid) et à la simple mémorisation.

L'esprit de l'ijtihad a disparu et la porte de l'ijtihad s'est refermée pour plusieurs raisons: l'oppression politique, les luttes intestines, l'abus de l'institution de l'ijtihad, une confiance extrême dans le système légal actuel, l'incapacité à sentir le besoin de réforme, l'aveuglement causé par le système présent monotone qui prédomine. Tous ces éléments font partie des raisons de cette perte. De plus, les croyants qui étaient qualifiés et capables de pratiquer l'ijtihad, ont parfois été inclus à tort dans les groupes d'hérétiques qui abusaient de l'ijtihad. En fait, la porte de l'ijtihad n'a jamais été fermée par qui que ce soit. Cependant, certains ulémas ont eu tendance à fermer cette porte contre ceux qui voulaient promouvoir leurs propres désirs et interprétations en tant que guidée. La porte a été fermée automatiquement face à ceux qui n'étaient pas qualifiés pour faire de l'ijtihad. Tant que la société n'aura pas de savants fiables habilités à pratiquer l'ijtihad, l'on sera en quelque sorte forcé à donner raison à ceux qui s'opposent à l'ijtihad.

De nos jours, les gens tendent à penser avant tout à la vie de ce monde. Leurs idées et leurs cœurs sont très désorientés et leurs esprits se sont détachés des choses immatérielles. La religion et la religiosité ne sont plus la préoccupation essentielle des gens, contrairement à l'époque des premiers musulmans. Au contraire, les gens sont indifférents à la religion et à la religiosité. Beaucoup se désintéressent des sujets liés à la foi et beaucoup de principes fondamentaux de la religion sont piétinés. Les piliers de l'islam et les principes de la foi sont abordés avec scepticisme. Pour beaucoup de musulmans, la religion s'est effondrée. Beaucoup ne font aucun effort pour mener leurs vies dans le cadre de l'islam. En de telles circonstances, l'on peut difficilement entrevoir un emploi approprié de cet aspect dynamique de l'islam qu'est l'ijtihad.

Malgré tout cela, il y a actuellement un grand réveil de la religion et de la religiosité dans le monde islamique. J'espère - si Dieu le veut - que ce développement résultera en l'émergence de personnes qui seront aptes et qualifiées pour ouvrir la porte de l'ijtihad dans le futur proche.

Ma conviction est que quand il sera temps, de tels esprits bouillonnants et des intellects ingénieux créerons des corps constitués de gens spécialisés dans leurs domaines avec un sens très profond de la responsabilité pour entreprendre l'ijtihad. J'espère que ces corps et les conseils de religion combleront le vide qui s'est formé depuis la perte de l'esprit de l'ijtihad. Continuons à pétrir encore un peu cette pâte et attendons de voir ce que le Tout-Puissant fera.

Question: Le lien entre les hommes et les femmes en islam est l'un des sujets les plus controversés de l'époque moderne. Que pensez-vous sur la place de la femme dans la société?

Le Coran invite les gens à former une vie de famille et indique les nombreuses sagesses et avantages du mariage. Dieu vous a fait à partir de vous-mêmes des épouses, et de vos épouses Il vous a donné des enfants et des petits-enfants1 Et Il vous a attribué de bonnes choses. Croient-ils donc au faux et nient-ils le bienfait de Dieu? (16:72) Le Coran voit le mariage comme un engagement sérieux de la part du mari et de la femme; c'est un pacte entre les époux. Si vous voulez substituer une épouse à une autre, et que vous ayez donné à l'une une grande quantité de biens, n'en reprenez rien. Quoi ! Le reprendriez-vous par injustice et péché manifeste? Comment oseriez-vous le reprendre, après que l'union la plus intime vous ait associés l'un à l'autre et qu'elles aient obtenu de vous un engagement solennel? (4:20-21)

En plus de cela, le Livre saint, par principe, met l'accent sur ce qui est bien et déclare sans cesse que les époux doivent faire ce qui est bien l'un envers l'autre.

Ô les croyants ! Il ne vous est pas licite d'hériter des femmes contre leur gré. Ne les empêchez pas de se remarier dans le but de leur ravir une partie de ce que vous aviez donné, à moins qu'elles ne viennent à commettre un péché prouvé. Et comportez-vous convenablement envers elles. Si vous avez de l'aversion envers elles durant la vie commune, il se peut que vous ayez de l'aversion pour une chose où Dieu a déposé un grand bien. (4:19)

Dans le but de renforcer les liens du mariage, le Coran place davantage de responsabilité sur les épaules du mari. Il impose également une partie des responsabilités à la communauté, dans le cas d'un désaccord entre les époux. Il voit le divorce, que Dieu n'aime point, comme le dernier recours lorsque la réconciliation devient impossible.

Ô Prophète ! Quand vous répudiez les femmes, répudiez-les conformément à leur période d'attente prescrite; et comptez la période; et craignez Dieu votre Seigneur. Ne les faites pas sortir de leurs maisons, et qu'elles n'en sortent pas, à moins qu'elles n'aient commis une turpitude prouvée. Telles sont les lois de Dieu. Quiconque cependant transgresse les lois de Dieu, se fait du tort à lui-même. Tu ne sais pas si d'ici là Dieu ne suscitera pas quelque chose de nouveau ! Puis quand elles atteignent le terme prescrit, retenez-les de façon convenable, ou séparez-vous d'elles de façon convenable; et prenez deux hommes intègres parmi vous comme témoins. Et acquittez-vous du témoignage envers Dieu. Voilà ce à quoi est exhorté celui qui croit en Dieu et au Jour dernier. Et quiconque craint Dieu, il lui donnera une issue favorable. (65:1-2).

Un autre verset coranique dit: Et faites que ces femmes habitent où vous habitez, et suivant vos moyens. Et ne cherchez pas à leur nuire en les contraignant à vivre à l'étroit. Et si elles sont enceintes, pourvoyez à leurs besoins jusqu'à ce qu'elles aient accouché. Puis, si elles allaitent [l'enfant né] de vous, donnez-leur leurs salaires. Et concertez-vous [à ce sujet] de façon convenable. Et si vous rencontrez des difficultés réciproques, alors, une autre allaitera pour lui. Que celui qui est aisé dépense de sa fortune; et que celui dont les biens sont restreints dépense selon ce que Dieu lui a accordé. Dieu n'impose à personne que selon ce qu'Il lui a donné, et Dieu fera succéder l'aisance à la gêne. (65:6-7).

Ainsi, en plus de rappeler aux époux leurs devoirs mutuels, le Coran souligne aussi les grands principes de la moralité humaine et invite les individus à vénérer Dieu et à être honnêtes les uns envers les autres. Une telle atmosphère de profond respect et de vertu est nécessaire pour la continuation des relations légales et humaines. Cela est dû à ce que les institutions comme le mariage, qui a un aspect unique d'intimité, peuvent difficilement être contrôlées par d'autres que les époux eux-mêmes. En effet, il est très important de se référer à un arbitre compétent dans le cas d'un désaccord entre époux. Toutefois, l'essentiel est d'empêcher dès le début l'apparition de problèmes, ou de les résoudre dès qu'ils apparaissent. Cela est, dans une grande mesure, lié à la personnalité, l'éthique et les caractères des conjoints. Il est extrêmement difficile de préserver l'harmonie de la vie conjugale à travers diverses considérations philosophiques et légales, s'il n'y a pas de croyance en Dieu dans les cœurs et si le sens d'autocritique et de respect pour les gens fait défaut.

Le Coran, en divers endroits, attire l'attention en insistant sur l'atmosphère chaleureuse du foyer: Et parmi Ses signes Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de l'affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent. (30:21)

L'islam s'adresse à la fois aux femmes et aux hommes de façon égale, et élève les femmes à une position bénie. Il a sauvé les femmes de l'état d'objets de plaisir pour les hommes, à un niveau si élevé qu'elles ont «le Paradis sous leurs pieds». Après l'émergence de l'islam, cette précieuse créature ne pouvait plus être forcée à l'adultère, à la prostitution et à l'impudeur. Elle allait cesser d'être traitée comme une marchandise qui s'achète et se vend, et d'être accusée d'impureté. Une telle accusation résulterait en un châtiment sévère pour l'accusateur: Et ceux qui lancent des accusations contre des femmes chastes sans produire par la suite quatre témoins, fouettez-les de quatre-vingts coups de fouet, et n'acceptez plus jamais leur témoignage. Et ceux-là sont les pervers, à l'exception de ceux qui, après cela, se repentent et se réforment, car Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. Et quant à ceux qui lancent des accusations contre leurs propres épouses, sans avoir d'autres témoins qu'eux-mêmes, le témoignage de l'un d'eux doit être une quadruple attestation par Dieu qu'il est du nombre des véridiques, et la cinquième [attestation] est "que la malédiction de Dieu tombe sur lui s'il est du nombre des menteurs". (24:4-7). Les petites filles n'allaient plus être méprisées. L'infanticide allait être interdit. Et ne tuez pas vos enfants par crainte de pauvreté; c'est Nous qui attribuons leur subsistance; tout comme à vous. Les tuer, c'est vraiment un énorme péché. (17:31) Même si la fille est physiquement différente, ce n'est pas une raison de la mépriser.

Selon le Coran, Adam fut créé en premier, et Eve fut créée à partir du même levain. Cette image coranique nous rappelle que les femmes et les hommes sont tous deux également humains. Ce sont deux entités qui se complètent. Quelque différence qu'il y ait entre eux, il s'agit d'un dessein spécifique planifié pour des fins déterminées. Cette différence n'est en aucun cas ontologique. Les versets coraniques qui donnent l'impression que les hommes seraient supérieurs aux femmes sont des expressions qui se rapportent à la différence dans les capacités et les dispositions naturelles. Ne convoitez pas ce que Dieu a attribué aux uns d'entre vous plus qu'aux autres; aux hommes la part qu'ils ont acquise, et aux femmes la part qu'elles ont acquise. Demandez à Dieu de Sa Grâce. Car Dieu, certes, est Omniscient. (4:32) Par ce genre de versets, le Coran nous rappelle l'existence de certaines différences, et qu'appartenir à un sexe donné ne doit pas être vu comme un sujet de plainte. Il n'existe absolument aucune différence entre les membres des deux sexes pour ce qui est des relations humaines. Quiconque gagne, gagne pour lui-même ou pour elle-même.

Comme susmentionné, en ce qui concerne l'humanité et les relations humaines avec Dieu, il n'y a pas de différence entre les femmes et les hommes. Ils sont égaux dans leurs droits et leurs responsabilités. La femme est l'égale de l'homme dans ses droits à la liberté de religion, liberté d'expression, liberté de vivre une vie décente et liberté de finance. L'égalité devant la loi, un traitement juste, le mariage, fonder une famille, la vie personnelle, l'intimité et la protection font tous partie des droits de la femme aussi bien que de l'homme. Ses biens, sa vie et sa dignité sont assurés au même titre que ceux des hommes. La violation de l'un de ces droits aboutit à un châtiment sévère.

Oui, la femme est libre et indépendante devant la loi. Sa féminité ne limite ni n'invalide aucun de ses mérites. Quand ses droits sont violés, elle peut avoir recours à la justice, tout comme les hommes. Si quelqu'un s'empare de ses biens à tort, elle a naturellement le droit de les réclamer et de les récupérer. En considération de certaines caractéristiques des hommes et des femmes, l'islam a développé certaines prescriptions légales: par exemple, les femmes sont exemptes de certains devoirs tels que le service militaire, participer à une guerre, se charger des obligations financières du foyer et d'elle-même, etc.

Quant au témoignage, en effet, le Coran dit que si vous ne pouvez pas trouver deux hommes pour porter témoignage, trouvez un homme digne de confiance et deux femmes, de sorte que si l'une oublie, l'autre puisse lui rappeler. (2:282) Il n'est pas du tout acceptable de déduire de ce verset une supériorité de l'homme sur la femme en humanité et en valeur. La question fondamentale est ici l'accomplissement de la justice.

Or cela n'est pas un sujet spécifique aux femmes. Le témoignage de certains hommes bédouins a été rejeté dès lors que l'affaire était liée aux droits et à l'accomplissement de la justice. La question du témoignage est liée de près à un fort engagement dans la vie collective. La participation des témoins dans tous les domaines de la vie sociale - ce qui est une réalité encore aujourd'hui -, le fait de ne pas être témoin de nombreux aspects de la vie des gens, sont toujours possibles pour certains hommes et femmes. Cette question du témoignage dans le Coran se réfère au témoignage oral pour les prêts d'argent et autres sujets financiers. Autrement, le témoignage des femmes par écrit, quand cela est nécessaire, est accepté comme égal à celui de l'homme, selon l'avis de certains experts de la loi islamique.

Question: Actuellement, la relation entre l'islam et le terrorisme est très controversée. Le terrorisme peut-il être considéré comme un moyen de lutter pour la liberté? Quelle alternative de lutte l'islam propose-t-il?

Comme je l'ai dit dans une interview avec Nuriye Akman pour le quotidien turc Zaman, au mieux, l'on peut dire que l'islam n'est pas du tout connu. Les musulmans doivent dire: «Dans le vrai islam, le terrorisme n'existe pas». Personne n'a le droit de tuer un être humain. Nul ne peut s'en prendre à un innocent, même en temps de guerre. Aucun homme ne peut émettre de fatwa (décision légale en Islam) sur ce sujet. Personne ne peut se transformer en bombe humaine. Personne ne peut se ruer à travers les foules avec des bombes attachées au corps. Peu importe la religion de ces foules, cela n'est pas religieusement permis. Même en cas de guerre - où il est alors difficile de maintenir l'équilibre - cela n'est pas permis en Islam. L'islam déclare: «Ne touchez pas aux enfants, ni à ceux qui prient dans les églises.» Et ceci n'a pas été dit une seule fois, mais a été répété tout au long de l'histoire. Ce que notre maître le Prophète Mohammed a dit, ce qu'Abou Bakr a dit et ce qu'Omar a dit est identique à ce que, bien plus tard, Salahaddin Ayyoubi, Alparslan et Kiliçarslan ont aussi dit. Le Sultan Mehmet II le Conquérant a aussi dit la même chose. Ainsi, la ville de Constantinople dans laquelle un chaos général régnait devint İstanbul. Dans cette ville, les Grecs ne faisaient aucun mal aux Arméniens, et ces derniers ne nuisaient pas non plus aux Grecs. Les musulmans non plus ne faisaient de mal à personne. Peu de temps après la conquête de Constantinople, un énorme portrait du Conquérant était affiché sur le mur de la résidence du Patriarche. Puis l'histoire relate que le Sultan convoqua le Patriarche pour lui remettre les clés de la ville. Aujourd'hui encore, le Patriarcat l'évoque avec respect. Mais de nos jours, l'islam n'est pas compris comme il le faut. L'islam a toujours respecté les différences d'opinions et ceci doit être bien compris si l'on veut pouvoir l'apprécier à sa juste valeur.

J'ai le regret de dire que dans les pays où vivent les musulmans, certains leaders religieux n'ont d'autres armes que l'utilisation de leurs propres interprétations extrémistes et leur instrumentalisation de quelques musulmans immatures. En fait, l'islam est une foi authentique et devrait donc être vécue de façon authentique. Sur le chemin de la foi, on ne doit jamais employer de fausses méthodes. En islam, tout comme la fin doit être légitime, les moyens utilisés pour atteindre cette fin doivent aussi l'être. Dans cette optique, personne ne peut gagner le Paradis en assassinant un autre individu. Un musulman ne peut pas dire: «Je vais tuer quelqu'un, après quoi j'irai au Paradis.» L'agrément de Dieu ne peut être obtenu en tuant des gens. L'un des objectifs les plus importants pour un musulman est de gagner l'agrément de Dieu; un autre est de faire connaître à l'univers les noms de Dieu Tout-Puissant.

Les jeunes insatisfaits ont perdu leur spiritualité. D'aucuns ont tiré profit de leur faiblesse et en leur donnant un peu d'argent les ont transformés en robots. Ils les ont drogués. Cela est devenu un sujet d'actualité qu'on peut lire dans les magazines. Ces jeunes ont été malmenés jusqu'à pouvoir être manipulés. Ils ont été utilisés comme des meurtriers sous prétexte de quelques idéaux ou buts, et ont été amenés à tuer des hommes. Certains individus mal intentionnés ont voulu atteindre leurs objectifs en manipulant ces jeunes.

En effet, selon les termes du Saint Coran, le meurtre d'une personne équivaut au meurtre de l'humanité entière. Ibn Abbas a même ajouté que l'assassin resterait en Enfer pour l'éternité. Ce châtiment est le même que celui qui est imposé à ceux qui renient Dieu. Ce qui veut dire que celui qui tue un innocent subira le même sort que l'incroyant. Si cela est un principe fondamental de la religion, alors il doit être enseigné dans les écoles.

Un individu qui accepte l'islam de tout son cœur ne prendra jamais volontairement part au terrorisme. Les actes de terrorisme attribués à l'islam ont peut-être été perpétrés par des musulmans qui n'avaient pas intériorisé la profondeur de l'islam.

Le terrorisme est un sujet très complexe et très difficile à analyser. Malgré cela, parce qu'il est si laid par nature et parce que beaucoup de musulmans en sont accusés, le terrorisme doit être traité avec beaucoup d'attention. Les autorités et les services secrets doivent essayer de trouver les responsables, les auteurs et les causes des activités terroristes. Cela développera des stratégies internationales pour l'arrêter.

Sinon, en raison de la désinformation et des fausses évaluations, la question peut devenir si compliquée que certaines civilisations, nations et organisations civiques seront toujours menacées. Après le 11 septembre, le problème s'est développé dans ce sens. La crainte du terrorisme est devenue paranoïaque dans la société. Les émotions et les peurs de la société sont de plus en plus exploitées. Les organisations terroristes ont été utilisées par certains comme des instruments de terreur pour atteindre des buts par le biais des activités terroristes contre la société innocente.

À mon avis, les musulmans ne sont pas assez vils pour participer à des activités aussi basses que celles-ci, même s'ils sont scientifiquement et techniquement sous-développés. Les vrais facteurs derrière le terrorisme sont les avantages matériels de ce bas-monde et les intérêts personnels. Ces facteurs ont toujours été les raisons principales derrière «les grands jeux» sur terre. Tandis que l'on ferme les yeux sur les raisons principales, tous montrent du doigt l'islam.

D'autre part, il y a beaucoup de conflits d'intérêts dans les régions islamiques, ainsi qu'une multitude de groupes concurrents et opposés. Les problèmes tels que les pratiques antidémocratiques et la violation des droits de l'homme ont engendré la création de divers groupes désaffectés et privés de leurs droits de représentation, et donc mécontents et insatisfaits. Étant ignorants, inexpérimentés et réactionnaires, beaucoup de ces groupes peuvent être facilement manipulés et utilisés par certains. D'aucuns, manipulant ces groupes, ont œuvré pour réaliser leurs objectifs petit à petit. En outre, il existe des organisations multinationales, secrètes ou publiques, qui ont concentré tous leurs efforts sur la destruction et sur la création de la peur dans la société. Pour étendre les frontières de leurs activités, ils agitent les membres malheureux de la société en provoquant des troubles et en fomentant la violence.

Même si, grâce à des efforts soutenus et intelligents, les raisons superficielles du terrorisme étaient éliminées, néanmoins, sans les considérations susmentionnées, il sera impossible de mettre un terme au terrorisme une fois pour toute. Ce maudit comportement refera surface sous un autre nom.

(D'abord traduit du turc vers l'anglais par Zeki Saritoprak et Ali Ünal)
The Muslim World, Numéro Spécial, Juillet 2005 - Vol. 95 Numéro 3 Pages 325-471


* L'éditeur souhaite offrir tous ses remerciements à M. Gülen. Malgré son temps limité et son emploi du temps très chargé, il nous a consacré beaucoup de temps et a eu la gentillesse de répondre à nos questions pour ce numéro spécial de la revue The Muslim World. L'éditeur tient aussi à remercier M. Osman Simsek pour son aide durant l'entretien avec M. Gülen. Il adresse également de grands remerciements à Marcia Hermansen pour avoir lu la première ébauche de la traduction de cet entretien et pour ses précieuses remarques.

[1] Interprétation islamique qui consiste à exercer sa raison pour émettre des jugements adéquats sur des questions religieuses ou légales qui n'ont pas été directement traitées dans le Coran, en se basant sur le Coran et la Sounna.

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