Autres raisons

Les Compagnons vivaient au sein d'un génie qui ne perdit jamais de sa fraîcheur. Telle un embryon dans l'utérus, la communauté musulmane grandit et s'épanouit, incluant finalement tous les domaines de la vie. Elle était constamment nourrie de la Révélation. De tels facteurs, en plus de la Sounna et de la dévotion des Compagnons au Prophète, les conduisirent à mémoriser tout ce que le Messager disait ou faisait.

Par exemple, quand Othman ibn Madh'un décéda, le Messager versa autant de larmes qu'il en avait versé sur le défunt Hamza. Il l'embrassa sur le front et assista à l'enterrement. Témoin de cela, une femme dit: «Comme tu es heureux, Othman. Tu es devenu un oiseau qui s'envole au Paradis.» Le Messager se tourna vers elle et demanda: «Comment pourrais-tu savoir cela tandis que moi, Prophète, je ne le sais pas? À moins que Dieu ne nous en informe, personne ne peut savoir si une personne est assez pure pour mériter le Paradis et s'il ira au Paradis ou en Enfer.» La femme se reprit et déclara qu'elle ne referait plus jamais une telle supposition.[1] Est-il concevable qu'elle et les Compagnons présents à l'enterrement aient pu oublier un tel événement? Ils ne l'oublièrent pas, ni celui-ci ni les autres auxquels ils furent témoins du vivant du Prophète.

Un autre exemple: Quzman se battit héroïquement à la Bataille de Hunayn où il finit par se faire tuer. Les Compagnons le considérèrent comme un martyr. Pourtant, le Prophète leur dit que Quzman était voué à l'Enfer. Plus tard, quelqu'un leur apprit que Quzman s'était suicidé à cause de ses blessures et avait dit avant de mourir: «J'ai combattu par solidarité tribale, et non pas pour l'islam.» Le Messager conclut: «Dieu renforce cette religion même par le biais d'un pervers.»[2] Comme d'autres, cet événement et son commentaire final n'auraient jamais pu être oubliés des Compagnons, ni n'auraient-ils pu manquer de le mentionner chaque fois qu'ils parlaient de Hunayn ou du martyre.

Un incident similaire eut lieu durant la conquête de Khaybar. Omar rapporte:

Le jour où Khaybar fut conquis, des Compagnons firent une liste des martyrs. Quand ils mentionnèrent un tel comme martyr, le Messager dit: «Je l'ai vu en Enfer, portant une robe qu'il a volée du butin de guerre avant qu'il n'ait été distribué.» Il me dit alors de me lever et d'annoncer: «Seuls les croyants (qui sont les seuls représentants ou incarnations de la foi absolue et de la loyauté) peuvent entrer au Paradis.»[3]

Chaque parole et acte du Messager raffinaient la compréhension et l'application de l'islam des Compagnons. Cela les motivait à absorber chacune de ses paroles et de ses actes. Quand ils s'installaient sur des terres nouvellement conquises, ils transmettaient leurs connaissances aux nouveaux musulmans, assurant ainsi que la Sounna serait transmise d'une génération à l'autre.

Ils se conduisaient si bien envers le Messager qu'ils gardaient le silence en sa présence et laissaient les Bédouins ou d'autres lui poser des questions. Un jour, un Bédouin appelé Dimam ibn Tha'laba vint et demanda impoliment: «Lequel de vous est Mohammed?» Ils répondirent que c'était l'homme au teint blanc, assis contre le mur.

Le Bédouin se tourna vers lui et demanda à voix haute: «Ô fils de Abd al-Muttalib, je vais te poser quelques questions! Il se peut qu'elles t'offensent, alors ne m'en veux pas.» Le Prophète lui dit de demander tout ce qu'il avait en tête. Il dit: «Dis-moi, pour l'amour de Dieu, ton Maître et le Maître de ceux avant toi, t'a-t-Il envoyé à ce peuple en tant que Prophète?» Quand le Prophète dit que cela était vrai, Dimam demanda: «Dis-moi, pour l'amour de Dieu, est-ce Dieu qui t'ora ordonné de prier cinq fois par jour?» Quand le Prophète dit que cela était vrai, Dimam continua à l'interroger de la même façon sur le jeûne et l'aumône. Recevant toujours la même réponse, Dimam annonça: «Je suis Dimam ibn Tha'laba, de la tribu des Sa'd bin Bakr. Ils m'ont fait venir à toi comme un envoyé. Je déclare que je crois au message, quel qu'il soit, que tu as apporté de Dieu.»[4]

Comme beaucoup d'autres, cet événement non plus n'aurait jamais pu tomber dans l'oubli; au contraire, il fut transmis aux générations suivantes jusqu'à ce qu'il fût transcrit dans les livres de Traditions.

Ubayy ibn Ka'b était l'un des plus grands réciteurs du Coran. Un jour le Messager le convoqua et dit: «Dieu m'a ordonné de te réciter la sourate al-Bayyina.» Ubayy fut si ému qu'il demanda: «Dieu mentionna-t-Il mon nom?» La réponse du Messager l'émut jusqu'aux larmes.[5] C'était un si grand honneur pour la famille de Ubayy que son petit-fils allait plus tard se présenter comme «le petit-fils de l'homme à qui Dieu ordonna à Son Messager de réciter la sourate al-Bayyina

Tel était le génie dans lequel les Compagnons vivaient. Chaque jour, un nouveau «fruit du Paradis» et un nouveau «présent» de Dieu leur étaient offerts, et chaque jour leur apportait de nouvelles situations. Jadis ignorant la foi, l'Ecriture Sainte et la Prophétie, ces Arabes du désert, dotés d'une excellente mémoire et d'un don pour la poésie, furent élevés par le Messager pour éduquer les futures générations musulmanes. Dieu les choisit comme les Compagnons de Son Messager, et voulut que ce fût eux qui transmettent Son Message à travers le monde.

Après la mort du Prophète, ils conquirent au nom de l'islam toutes les terres de l'Espagne à la Chine, du Caucase à l'Inde, à une vitesse sans précédent. Transmettant le Coran et la Sounna partout où ils allaient, beaucoup de peuples conquis embrassèrent l'islam en famille. Les musulmans instruisaient à ces nouveaux convertis le Coran et la Sounna, préparant ainsi le terrain pour tous les grands savants et scientifiques musulmans à venir.

Les Compagnons considéraient la mémorisation et la transmission du Coran et de la Sounna comme un acte d'adoration, car ils avaient entendu le Messager dire: «Quiconque vient dans ma mosquée doit venir soit pour apprendre le bien soit pour l'enseigner. De telles personnes ont le même rang que ceux qui se battent sur le chemin de Dieu.»[6]

Anas rapporte qu'ils se rencontraient souvent pour discuter de ce qu'ils avaient entendu du Messager.[7] Les femmes aussi recevaient des enseignements du Messager, qui arrangeait un jour spécifique pour elles. Ses épouses transmettaient activement aux autres femmes tout ce qu'elles apprenaient du Messager. Leur influence fut considérable, car à travers elles, le Prophète établissait des liens de famille avec les peuples de Khaybar (par le biais de son mariage avec Safiyya), de Banu Amir ibn Sa'sa'a (par Maymuna), les Banu Makhzum (par Umm Salama), les Omeyyades (par Umm Habiba), et les Banu Mustaliq (par Juwayriya). Les femmes de ces tribus venaient voir leur «représentante» parmi les membres de la Famille du Prophète pour la questionner sur des sujets religieux.

Durant la dernière année de sa Prophétie, le Messager alla à La Mecque pour ce qui est connu sous le nom du Pèlerinage d'Adieu. Dans son Sermon d'Adieu à Arafat devant plus de 100 000 personnes, il résuma l'objet de sa mission et dit à son audience: «Que ceux qui sont ici présents transmettent mon discours à ceux qui sont absents!»[8] Quelque temps plus tard, le dernier verset à être révélé enjoignait à la communauté musulmane de pratiquer l'islam et de le soutenir: Et craignez le jour où vous serez ramenés vers Dieu. Alors chaque âme sera pleinement rétribuée de ce qu'elle aura acquis. Et ils ne seront point lésés. (2:281)


[1]Ibn Athir, "Usd al-Ghaba," 3:600.
[2]Muslim, "Iman," 178; Bukhari, "Iman," 178.
[3] Muslim, "Iman," 182.
[4] Muslim, "Fadha'il as-Sahaba," 161.
[5]Bukhari, "Tafsir," 98:1-3; Muslim, "Fadha'il as-Sahaba," 122.
[6]Ibn Maja, "Muqaddima," 17.
[7] Muhammad 'Ajjaj al-Khatib, As-Sunna Qabl at-Tadwin, 160.
[8]Bukhari, "'Ilm," 9; Ibn Hanbal, 5:41.