Les expéditions militaires

Avec l'arrivée du Messager à Médine, la lutte entre l'islam et l'incroyance entra dans une nouvelle phase. À La Mecque, le Prophète s'était presque exclusivement consacré à la propagation des principes fondamentaux de l'islam et à la formation morale et spirituelle de ses Compagnons. Or, après l'hégire (622), de nouveaux musulmans appartenant à différentes tribus et venant de diverses régions se rassemblèrent petit à petit à Médine. Même si les musulmans ne possédaient qu'un petit morceau de terrain, les Qoraïchites décidèrent de s'allier avec autant de tribus possibles pour pouvoir les exterminer.

Dans ces circonstances, le succès - ou plutôt la survie - de la petite communauté musulmane dépendait de plusieurs facteurs qui sont, dans l'ordre d'importance:

  • Propager l'islam de façon efficace et effective pour convertir les autres.
  • Démontrer les faussetés des incroyants de façon si convaincante que personne ne puisse douter de la véracité de l'islam.
  • Faire face à l'exil, à l'opposition et à l'hostilité grandissantes, aux difficultés économiques, à la faim, à l'insécurité et au danger avec patience et force d'âme.
  • Regagner leurs richesses et leurs biens usurpés par les Mecquois après leur émigration.
  • Résister, avec courage et à force d'armes, à tout assaut lancé pour frustrer leur mouvement. Pendant la résistance, ne tenir aucun compte de la supériorité numérique ou matérielle de l'ennemi.

En plus des menaces venant de La Mecque et de ses alliés, la jeune communauté devait lutter contre les trois tribus juives de Médine qui contrôlait la vie économique de la ville. En dépit du fait qu'ils attendaient eux aussi l'avènement d'un Prophète, ils s'opposèrent au Messager parce qu'il n'était pas juif. L'une des premières choses que le Prophète fit à Médine fut de signer un pacte avec les juifs.[1] Malgré cela, les juifs continuèrent à porter de mauvaises intentions à l'égard du Messager et à comploter contre lui et l'islam. Par exemple, le talentueux poète juif Ka'b ibn Ashraf composait des poèmes où il faisait la satire du Prophète et fomentait l'hostilité à son encontre.

À Médine, un autre élément hostile commença à voir le jour: l'hypocrisie. Les Hypocrites peuvent être divisés en quatre grandes catégories:

  • Ceux qui n'avaient pas la foi en l'islam mais qui entrèrent dans la communauté musulmane afin de semer la discorde parmi ses rangs.
  • Ceux qui avaient compris les réalités politiques et qui cherchaient donc quelque avantage en feignant de s'être convertis. Ce faisant, ils gardaient toutefois contact avec les forces anti-islamiques dans l'espoir de profiter de leurs liens avec les deux camps et ainsi de ne jamais être en difficulté.
  • Ceux qui ne s'étaient pas encore décidés, mais qui semblaient être convertis parce que leur entourage l'était.
  • Ceux qui acceptaient l'islam comme la vraie religion mais qui trouvaient cela trop difficile d'abandonner leur ancien mode de vie, leurs superstitions et leurs coutumes, et avait du mal à accomplir l'autodiscipline requise par l'islam.

Dans des circonstances aussi difficiles, le Messager de Dieu décida d'envoyer des expéditions militaires au cœur du désert. Il avait plusieurs objectifs en tête, parmi lesquels les suivants:

  • Les incroyants essayaient d'éteindre de leurs bouches la Lumière de Dieu, alors que Dieu parachèvera Sa lumière en dépit de l'aversion des mécréants. (61:8) Le Messager voulait prouver que les incroyants ne pouvaient pas exterminer l'islam et que l'islam ne saurait être ignoré.
  • La Mecque jouissait d'une position centrale en Arabie. Etant la plus grande puissance de la péninsule, toutes les autres tribus se sentaient en quelque sorte liées à elle. En envoyant des expéditions militaires dans les régions avoisinantes, le Messager souhaitait exhiber la force de l'islam et briser la domination des Qoraïchites. Tout au long de l'histoire, le concept selon lequel «la force prime le droit» a souvent été la norme, car «le droit» était généralement trop faible pour pouvoir régner. En Arabie, les Qoraïchites ayant la force et la richesse, les tribus voisines leur obéissaient. L'islam vint pour faire prévaloir le droit. Par conséquent, le Messager se devait de briser l'emprise des Mecquois.
  • Sa mission ne se restreignait pas à une période et une nation déterminées, car il avait été envoyé comme une miséricorde pour tous les mondes. Ainsi fut-il chargé de transmettre l'islam aussi loin que possible. Pour réussir, il devait savoir ce qui se passait dans la péninsule. Ces expéditions servaient de patrouilles qui lui fournissaient les informations dont il avait besoin pour paver le chemin de la prédication de l'islam.
  • L'un des moyens les plus efficaces pour écraser vos ennemis est de les entraîner dans des actions non préméditées et prématurées, car cela vous permet de garder l'initiative. Le Messager était certainement informé des contacts qu'avaient les Qoraïchites avec Abd Allah ibn Ubayy ibn Salul, le leader des Hypocrites de Médine. Aussi restait-il vigilant quant aux éventuelles attaques contre Médine. Suite à l'entrée d'une force militaire qoraïchite dans les alentours de Médine et son retour à La Mecque avec un butin, le Messager envoya des expéditions militaires afin de pousser les Qoraïchites à agir avant de penser. Ainsi pourrait-il contrecarrer leurs plans.
  • Les Qoraïchites vivaient du commerce grâce aux marchés internationaux en Syrie et au Yémen, et devaient donc sécuriser leurs routes marchandes. Mais depuis que les musulmans étaient à Médine, ces routes pouvaient être menacées. Tout en renforçant sa position, le Prophète envoyait aussi des expéditions militaires pour paralyser les espoirs et les plans des Qoraïchites pour le battre.
  • Les commandements de l'islam cherchent à garantir la sécurité de la vie et de la propriété, la chasteté et la croyance, ainsi que la santé physique, mentale et spirituelle. Etant donné cela, le meurtre et le vol, le brigandage et le pillage, l'usurpation et l'intérêt (l'usure), les jeux de hasard, l'alcool, les relations sexuelles illicites, l'anarchie et la propagation de l'athéisme sont interdits.

Le mot arabe pour la croyance, iman, signifie la sécurité. Ainsi un mu'min (croyant) ne trompe jamais, et tout le monde est «à l'abris de sa langue et de sa main». Les croyants ne mentent pas, ne rompent pas leurs promesses et ne trahissent pas ceux qui leur ont confié un dépôt. Ils ne gagnent pas leurs vies par le biais du vol, de l'usurpation et des transactions basées sur l'intérêt. De plus, ils s'évertuent à ne faire de mal à personne, car ils sont convaincus que ceux qui tuent ne serait-ce qu'un seul être humain sont considérés comme s'ils avaient tué toute l'humanité.

Quand le Messager apparut comme un Prophète, il n'y avait pas de sécurité de la vie et de la propriété en Arabie, ni de chasteté, de santé et de croyance. L'une de ses tâches était donc d'établir la sécurité absolue dans tous les aspects de la vie. Un jour il dit à Adiyy ibn Hatim: «Le jour viendra où une femme voyagera dans son palanquin de Hira jusqu'à La Mecque et ne craindra rien d'autres que Dieu.»[2] En envoyant des expéditions militaires, le Messager cherchait à établir la sécurité et à montrer à tous que seul l'islam leur apporterait la sécurité.

Les expéditions

La première expédition militaire post-hégire, conduite par Hamza, fut envoyée vers Sif al-Bahr. Elle arriva juste au moment où une caravane marchande qoraïchite rentrait de Damas. Les Qoraïchites avaient usurpé toutes les possessions des Émigrés et les avaient vendues à Damas. Le Messager utilisa cette situation pour étaler la puissance musulmane et menacer directement le bien-être économique des Qoraïchites. Aucun affrontement n'éclata lors de cette première confrontation, mais les tribus du désert qui étaient témoins de l'incident devinrent enclines à reconnaître l'existence d'une autre source de pouvoir dans la péninsule.

Cette expédition fut suivie d'une autre commandée par Ubayda ibn Harith. Avec le même objectif en tête, Ubayda alla aussi loin que Rabigh, une vallée sur le chemin de La Mecque. Les 60 cavaliers musulmans rencontrèrent les forces Qoraïchites qui comptaient 200 hommes armés. Un échange de flèches eut lieu, puis, craignant la défaite, les forces mecquoises finirent par battre en retraite vers La Mecque.[3]

Désormais, les expéditions militaires, dont certaines étaient menées par le Messager, se succédèrent. Dans deux des expéditions qu'il commanda, le Messager alla respectivement à Abwa et Buwat, avec l'intention de menacer les caravanes marchandes des Qoraïchites et d'intimider ceux-ci.[4] À Abwa, il conclut un traité avec la tribu des Banu Damra: aucun des deux camps ne combattrait l'autre, et Banu Damra n'aiderait pas les ennemis des musulmans.

Peu avant la Bataille de Badr (624), le Messager envoya une expédition d'environ 10 hommes, commandée par Abd Allah ibn Jahsh, à Nakhla, lieu situé à quelques kilomètres de La Mecque sur le chemin de Ta'if. Il leur demanda de suivre les mouvements des Qoraïchites et de rassembler des informations concernant leurs plans. Alors qu'ils étaient à Nakhla, une caravane marchande qoraïchite venant de Ta'if s'arrêta là-bas. Quelque chose d'imprévu survint et les musulmans durent tuer un Mecquois et capturer les autres (sauf un) ainsi que leurs biens. Ceux-ci furent emmenés à Médine.

Cet événement arriva aux environs de la fin du mois de Rajab et du début du mois de Cha'ban. Par conséquent, on ne savait pas trop si le caractère sacré de Rajab, l'un des quatre mois sacrés, avait oui ou non été violé. Les Qoraïchites, les juifs qui s'étaient secrètement alliés à eux, et les Hypocrites profitèrent de cet incident et utilisèrent autant que se peut cette possible violation dans leur campagne de propagande anti-islamique. Ils prétendaient que les musulmans avaient versé le sang pendant un mois sacré, c'est-à-dire à un moment où cela est strictement interdit.

Comme l'incident était survenu sans son accord, le Messager de Dieu expliqua à ceux qui y avaient pris part qu'il ne leur avait pas demandé de se battre. D'autres musulmans leurs firent aussi des reproches. Cependant, une révélation les consola en raison de la pureté de leurs intentions, leur donnant l'espoir de la miséricorde divine:

Ils t'interrogent sur le fait de faire la guerre pendant les mois sacrés. - Dis: "Y combattre est un péché grave, mais plus grave encore auprès de Dieu est de faire obstacle au sentier de Dieu, d'être impie envers Celui-ci et la Mosquée sacrée, et d'expulser de là ses habitants. La sédition est pire que le combat." Or, ils ne cesseront de vous combattre jusqu'à, s'ils le peuvent, vous détourner de votre religion. Et ceux parmi vous qui adjureront leur religion et mourront infidèles, vaines seront pour eux leurs actions dans la vie immédiate et la vie future. Voilà les gens du Feu: ils y demeureront éternellement. Certes, ceux qui ont cru, émigré et lutté dans le sentier de Dieu, ceux-là espèrent la miséricorde de Dieu. Et Dieu est Pardonneur et Miséricordieux. (2:217-18)[5]

Les versets répondaient aux objections des forces anti-musulmanes. En bref, le combat pendant les mois sacrés est une mauvaise action. Cependant, ceux qui avaient soumis les croyants à des souffrances ineffables et continues pendant treize années, et ce seulement parce qu'ils croyaient au Dieu Unique, n'avaient aucune justification ni aucun droit d'élever une telle objection. Non seulement ils avaient chassé les musulmans de leurs maisons, mais aussi les avaient-ils bannis de la Mosquée sacrée, une punition qui n'avait jamais été infligée dans (environ) 2000 ans d'histoire connue de la Ka'ba. Après tout cela, qui étaient-ils pour se permettre ainsi d'élever un tollé général à propos d'un petit incident, d'autant plus qu'il était arrivé sans l'approbation du Prophète?!


[1] Des historiens modernes comme Muhammad Hamidullah tendent à le considérer comme la première constitution dans l'histoire islamique.
[2] Bukhari, "Manaqib," 25.
[3] Ibn Hisham, Sira, 2:241; Ibn Sa'd, Tabaqat, 2:7.
[4] Ibn Hisham, 2:241, 248.
[5] Ibn Hisham, 2:252.