Action et réflexion
Pour exister réellement, il est nécessaire d'agir et de réfléchir. Héritiers de la Terre, notre domaine d'intervention peut se résumer alors par les termes « Action » et « Réflexion ». Cela dit, l'action et la réflexion, en cause, doivent être de nature à permettre le renouvellement non seulement de soi mais aussi d'autrui. D'ailleurs chaque créature semble se former selon certaines disciplines et être le produit d'une action. Pour continuer à exister, l'être dépend de cette action et de ces disciplines.
L'action est la composante la plus importante et la plus nécessaire de nos vies. Nous devons toujours agir en prenant certaines responsabilités menées par l'action et la réflexion constantes, en affrontant certaines difficultés, et en nous y consacrant personnellement. Si nous n'agissons pas étant nous-mêmes, nous serons influencés par les vagues d'agissements et d'actions d'autrui mais également par les tourbillons de plans et de pensées d'autres personnes. Cela étant, nous serons contraints d'agir pour le compte d'autrui.
Rester inactif, ne pas intervenir, ne pas s'impliquer dans les évènements qui nous entourent et y rester indifférent ne seraient que se désagréger tel un glaçon se dissolvant dans l'eau. Fondre ainsi, sans pouvoir préserver nos propres molécules et notre forme moléculaire, peut être considéré comme se rendre et se soumettre aux évènements et aux occurrences qui sont contraires à notre être et à notre essence. Ceux qui désirent rester authentiques devraient vraiment rechercher l'essence de tous leurs souhaits, désirs, cœur, conscience morale, comportement, actes et réflexions. Pour exister, toute l'essence de l'être humain doit être active. L'être humain doit, pour son existence et son maintien faire des pieds et des mains en y mettant tout son cœur et son mental. Dans le cas contraire, d'autres peuvent nous les réclamer avec insolence dans un lieu et un temps qui ne nous rapporte aucun bénéfice.
Les aspects les plus évidents de l'action et de la pensée islamique peuvent être énumérer de la façon suivante : a) être nous-mêmes ; b) faire en sorte que nos souhaits et désirs personnels soient conformes à la volonté universelle ; c) nous trouver une voie ou une direction d'action au sein de l'existence dans son ensemble ; d) nous laisser aller tels que nous sommes dans notre propre voie avec les courants et mouvements généraux de l'univers ; e) préserver notre propre ligne tout en étant intégré à l'ensemble de l'existence. En ce qui concerne son monde personnel, un individu qui est incapable de se lier à l'ensemble de l'existence et qui ne perçoit pas de relation avec l'univers est liée par ses souhaits et désirs individuels et triviaux. Ceux qui sont fermés aux vérités générales et universelles sont ceux qui se détachent, s'écartent et s'excluent de l'existence toute entière, se condamnent à la réclusion perpétuelle en raison de l'égoïsme. Tous les désirs et ambitions charnels, toutes les luttes autour du matériel et du corporel et enfin toutes les consolations vides et aveugles recherchées dans les désirs charnels, corporel et matériel, naissent sans aucun doute du détachement total de la véritable existence d'une personne et, en conséquence, du fait d'être laissé entièrement seul. Le monde réel d'une personne d'action et de pensée et son vrai bonheur dans celui-ci sont colorés par les tons de l'universalité et gravés dans le cadre de l'éternité. De cette manière, leur monde paraît être sans commencement et sans fin. Et s'il devait avoir un commencement et une fin, cela dépasserait notre conception et notre imagination. Par cet aspect, lorsque nous parlons d'une « personne heureuse », nous pensons à ce type d'individu. Il est en effet impossible de définir comme « bonheur » un plaisir éphémère.
Sous un autre angle plus approprié, l'action est pour l'individu un engagement dans la totalité de l'existence avec les décisions les plus sincères, l'analyse de l'existence et le voyage vers l'éternité à travers les couloirs de la création. Par la suite l'individu place son monde personnel dans sa véritable orbite, par l'utilisation des pleins pouvoirs de l'intellect et de la volonté, par le biais des secrets et de la force acquis de l'infini.
Quant à la réflexion, c'est une action intérieure. La réflexion systématique et résolue, c'est découvrir les secrets et résoudre les énigmes de la création auxquels nous sommes confrontés en s'interrogeant sur l'univers lui-même. En d'autres termes, la réflexion est l'activité d'une conscience recherchant la vérité, où qu'elle soit et peu importe son langage. Ainsi cette contemplation permettra d'établir un lien entre l'ensemble de l'existence et l'humanité. C'est par le biais de la réflexion que l'esprit humain devient profond, inextricablement entrecroisé et entrelacé avec l'univers, et qu'il continue ainsi à acquérir en lui-même des profondeurs de plus en plus grandes. En mettant en pièces les tendances étroites de la raison calculatrice ou de la compréhension quotidienne, il déborde et se préserve des conjectures, des illusions et des contraintes étroites de l'esprit. C'est par ce billet qu'il s'éveille aux réalités et aux vérités absolues qui n'induisent jamais en erreur. Ou encore, la réflexion c'est vider l'être intérieur pour faire de la place aux expériences métaphysiques dans les profondeurs de notre monde intérieur. Si cela est le premier pas de la réflexion, alors le dernier est la réflexion active.
La dynamique sous-jacente à notre vie d'action et de réflexion est notre vie spirituelle : il nous est impossible de dissocier notre vie spirituelle de nos pensées religieuses. Notre lutte pour l'existence a été menée sur le fondement de l'esprit et l'essence islamique. Tout comme la graine germe lorsqu'elle est plantée dans la terre et le bourgeon fleurit lorsqu'il est exposé à la lumière, nous avons, nous aussi, retrouvé les profondeurs et les qualités de notre essence lorsque nous nous sommes tournés vers l'islam et l'avons embrassé. Le fait de se tourner et de s'orienter vers l'islam a permis de développer les qualités et le potentiel de notre nature, et d'assurer notre existence et notre continuité pendant des siècles. En effet, l'adoration, la remémoration et la réflexion assureront, dans le monde intérieur de chaque individu, un équilibre entre le cœur et l'âme. De même le fait d'embrasser toute la création, de Le ressentir dans notre pouls, et de Le sentir dans toutes les facultés de l'esprit dépend également de la conscience d'adoration et de l'effort de réflexion et de remémoration. En effet, chaque acte du pur croyant est un acte d'adoration. Chacune de ses pensées est un acte de contemplation, de maîtrise de soi. Chacune de ses paroles est une prière, une supplication, et un épisode de connaissance spirituelle. Chacune de ses observations de l'existence est une étude et une enquête détaillée et ses relations avec autrui sont de la compassion divine. Le fait d'atteindre un tel degré de spiritualité ou de sainteté dépend de son ouverture sur la perception, la logique et le raisonnement et en conséquence sur les pensées et inspirations du Divin. En d'autres termes, il est très difficile pour une personne d'atteindre ce sommet, d'acquérir un tel état, à moins que l'expérience n'ait été filtrée par la raison, que la raison ne se soumette au plus grand intellect et aux prévisions des prophètes, que la logique ne se tourne entièrement vers l'amour, et que l'amour n'ait amplifié en amour de Dieu. Si tout cela a été accompli, alors la science devient une dimension de la religion et le serviteur de la religion. L'intellect devient un rayon de lumière qui peut tout atteindre avec l'aide de l'inspiration. La connaissance acquise grâce à l'expérience devient un prisme reflétant l'esprit de l'existence et tout résonne avec le chant de la connaissance spirituelle, de l'amour et de l'affection, et de la joie spirituelle.
Même si certaines fractions de notre société partagent des sentiments, des pensées et un état d'esprit spirituel communs, elles sont incapables d'agir positivement. Il se peut qu'elles tombent parfois dans l'erreur, s'égarent et s'opposent très souvent les unes aux autres. Les raisons de leurs conduites doivent être cherchées dans le fait qu'elles ne sont pas capables ou n'ont pas été capables de devenir croyantes dans le sens réel du terme. Car quelles que soient les conditions, les pressions ou les influences négatives qu'un pur croyant peut subir, son comportement doit toujours être marqué par la foi, ses actions doivent être suffisamment considérées et réfléchies.
Par conséquent, les héritiers de la Terre qui projettent de reconstruire le monde du futur doivent déterminer consciemment le modèle de monde qu'ils souhaiteraient constituer et les éléments nécessaires pour la bâtir. Ainsi ils ne seront pas obligés, plus tard, de détruire de leurs propres mains ce qu'ils ont eux-mêmes bâti. Les principes essentiels et les significations originelles de notre vie sont certains et évidents. Les architectes clairvoyants de l'avenir useront de leur capacité intellectuelle associée au dynamisme de leur action. Ils profiteront pleinement de la flexibilité, de l'étendue et de l'universalité des dynamiques historiques sur lesquelles ils baseront notre vie religieuse et intercommunautaire. Et bien sûr, ils veilleront à la préservation du Coran, de la Sunna et de la jurisprudence authentique (ijtihad) des prédécesseurs vertueux (as-Salaf as-sâlih). Une fois de plus, ils devront essayer de réécouter la voix de l'islam, de saisir sa ligne de pensée, de lire son pouls, et de suivre son cœur, afin de ne pas vivre le monde intermédiaire après la mort (barzakh) sur la voie de la résurrection.
Cela dépend, avant tout, de notre distanciation de tous les instincts et pressions charnels, et de notre ouverture et avancée dans la spiritualité, et de notre connaissance et acceptation de ce monde comme salle d'attente de l'au-delà. En d'autres termes, cela pourrait être réalisé par a) l'amélioration quantitative et qualitative de notre pratique religieuse (adoration y compris) ; b) le fait de remédier à cette déficience causée par le simple décompte mécanique des actes de dévotion dans notre souvenir et nos récitations ; c) la profondeur et la sincérité de notre intention ; d) la prière et l'invocation avec la conscience, la prudence et la révérence qui conviennent pour s'adresser et demander à Celui qui est plus près de nous que nous ne le sommes nous-mêmes Tout cela est compris et accompli par 1) ceux qui prient et ressentent la prière comme une ascension spirituelle (Miraj1) ; 2) ceux qui vivent le jeûne comme s'ils se mettaient à l'écart dans les secrets Divins ; 3) ceux qui donnent l'aumône avec l'attitude d'un administrateur libéré de sa responsabilité, qui dit « Ouf, je suis libéré de cette lourde tâche » ; 4) ceux qui vivent le pèlerinage comme s'ils assistaient à un congrès international : de même que les questions et problèmes liés au monde islamique seront discutés, le cœur comme l'âme pourront observer la luminosité, la splendeur, l'aspect impressionnant et majestueux de l'au-delà, des domaines les plus élevés de l'existence.
La vision et l'accomplissement de tous les nobles objectifs mentionnés plus haut dépendent de la présence de médecins spirituels pouvant diagnostiquer et traiter nos souffrances intérieures et extérieures, des guides toujours en contact constant avec l'au-delà et qui ne trompent jamais et enfin des guides dont le mode de pensée s'étend du matériel à l'immatériel, de la physique à la métaphysique, de la philosophie au soufisme. Ces personnes ont toujours été à l'origine de toutes les périodes de prospérité du passé. Elles représenteront également les prochains mouvements de reconstruction et de renouveau. Cette représentation sera accomplie a) en développant de nouvelles doctrines jurisprudentielles basées sur le Coran et la Sunna, à la lumière des événements actuels et futurs ; b) en tenant compte dans leurs propres points de vue des nouvelles perspectives et compréhensions des problèmes mondiaux ; c) en clarifiant et en enrichissant leur esprit et leur conscience nationale grâce à la perspective de l'islam ; d) en développant les plus récentes interprétations de l'art, attachées au sens de l'abstraction contemplative et en accord avec l'universalité de l'islam et en remodelant notre propre culture : une culture unissant l'univers et la religion et ayant survécu pendant des milliers d'années.
Dans les années à venir, une telle représentation appliquée à grande échelle, fera progresser notre vie scientifique, philosophique, artistique et spirituelle davantage que d'autres nations du monde. Elle dirigera tous les aspects de la vie et transformera tous nos enfants, qu'ils aient été scolarisés ou non, et qui sont oisifs, sans but, et qui vivent dans la rue en mal d'idées, de talents, de connaissance et de dextérité. À la suite de cela, toutes les rues auront l'atmosphère d'une salle de classe, les prisons deviendront des centres d'éducation et d'instruction, et les foyers se transformeront en coins de Paradis et émettront l'air du Paradis. Les sciences et la connaissance seront partout, main dans la main, avec la religion. La croyance et la raison, fortement liées l'une à l'autre, produiront et répandront partout leur fruit. Le futur, au cœur de l'espérance, de l'aspiration et de la résolution, germera et fleurira de manière plus colorée, plus élégante et plus riche que dans les utopies. Tous les médias — la radio, la télévision, les journaux, les revues — inonderont tout ce qui nous entoure de connaissance, d'abondance et de lumière et chaque cœur, à l'exception de celui qui est sclérosé, se promènera en goûtant et en profitant du kawthar2 dans ce printemps céleste.
Cette nouvelle genèse naîtra non seulement de nos propres valeurs historiques mais aussi de notre propre culture et romantisme. Elle émanera d'une part du sentiment et de l'état de souffrance, de maltraitance, d'injustice, de condamnation et d'oppression que nous avons subi au cours du temps, et d'autre part de l'enthousiasme de nos cœurs qui sont satisfaits, rassasiés de foi et qui sont toujours spirituellement en alertes et prêts à agir.
L'accomplissement d'une mission si vitale dépend d'abord du pouvoir qui va mettre les esprits en décomposition dans cette terre en décomposition. Les leviers poussés vers le haut et vers le bas ces cinquante dernières années pour enclencher ce processus semblent avoir commencés à bouger. Comme l'affirme le poète turc M. Akif Ersoy, nous pouvons dire : « Frappez avec votre pioche. Tout est presque parti, il en reste peu. » La première action est l'action de l'âme et elle est maintenant comme la douceur de la sérénité (sakina3), comme la chaleur et la douceur d'un nuage de printemps rempli de promesse et comme un arc-en-ciel au dessus de nos têtes. Elle nous accueille où que nous allions. Nous croyons que cette action de l'âme embrassera très bientôt la terre des opprimés, des maltraités et de ceux qui sont condamnés injustement et qu'elle les inondera de sa miséricorde, de sa compassion et de ses bénédictions.
La force, dans une large mesure, s'est aujourd'hui presque complètement dissoute dans la vérité et s'y est soumise. Bien sûr, il y a des raisons et des justifications de l'existence de la force, et de nombreuses questions sont quasiment impossibles à résoudre sans elle. Mais il n'y a aucun doute que la force qui s'écarte de la vérité et même l'oppose est un mal. Nous pouvons admettre que la force qui s'unit et qui est en cohésion avec la vérité est juste. Le courage qui émane de l'intégration de la force à la vérité n'est pas oppresseur, mais il est plutôt le protecteur des opprimés, de ceux à qui on a fait du tort et c'est le langage de la vérité. Ce qui est important après cela c'est sa représentation par les gens d'action et de réflexion.
Notes
1. Miraj : l'ascension du prophète Mohammed, ou voyage nocturne, vers les Cieux.
2. Kawthar : eau paradisiaque, boisson, abondance.
3. Sakina : paix, sérénité, calme, tranquillité. Les anges et êtres spirituels par qui un tel état descend sont aussi appelés ainsi.
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